Portraits – Honoré d’Urfé l’auteur de L’Astrée

Le précurseur du roman français : Honoré d’Urfé

Aujourd’hui en grande partie oublié, Honoré d’Urfé fut l’auteur, au début du XVIIème siècle, de l’un des plus grands succès littéraire de son temps, unanimement salué, et lu dans toutes les cours d’Europe : L’Astrée.

Après une enfance passée au château de la Bâtie, le premier du genre construit dans le style de la Renaissance, sur les bords du Lignon, Honoré d’Urfé fait ses études au collège de Tournon. Membre de l’aristocratie du Forez par son père, Jacques, il nait « accidentellement » (sa mère, Renée de Savoie-Tende, n’y est que de passage) à Marseille en 1567.

Catholique fervent, il est un des chefs de la Ligue dans la province du Forez, avec son frère aîné Anne, né en 1555. Ce frère, prénommé ainsi en l’honneur de son oncle et parrain, le connétable Anne de Montmorency, est marié à 16 ans, selon la coutume du temps, avec Diane de Châteaumorand, âgée elle-même de 10 ans seulement. Hommes d’influence du Forez, les deux frères participent aux troubles politiques et religieux de son temps, avant de finalement se réconcilier avec le Roi de France. Honoré sera même fait lieutenant-général au gouvernement de Forez.

L’union arrangée d’Anne d’Urfé et de Diane de Châteaumorand est un échec, la belle préférant se réfugier dans les bras de son beau-frère, Honoré. Le mariage est annulé en 1598, ce qui permet aux deux amants de s’unir légalement en 1600. Anne, qui est aussi poète, se tourne vers la religion, partageant dès lors son existence entre la citadelle médiévale des Cornes d’Urfé, berceau de la famille, qui surplombe la plaine du Forez, et le prieuré de Montverdun dont il a désormais la charge.

De son côté, Honoré voyage beaucoup, notamment en Italie et, troquant son masque guerrier contre sa plume, il écrit.

De 1607 à 1628, paraît son roman, l’Astrée, qui nous narre au fil de ses quelques 5000 pages, les amours de la bergère Astrée et du berger Céladon.

« Céladon fut un de ceux qui plus vivement la ressentirent [la tyrannie de l’Amour], tellement épris des perfections d’Astrée, que la haine de leurs parents ne peut l’empêcher de se perdre entièrement en elle. Il est vrai que si en la perte de soi-même on peut faire quelque acquisition, dont on se doive contenter, il se peut dire heureux de s’être perdu si à propos, pour gagner la bonne volonté de la belle Astrée ». A cette intrigue pastorale s’en ajoute une autre, plus politique, contant les intrigues de Polémas le guerrier afin d’obtenir la main de la princesse Galathée, qui doit succéder à sa mère, reine de la contrée.

La trame générale, difficilement résumable, s’articule en 5 parties et une quarantaine d’histoires.

L’action de ce roman fleuve est inscrite dans le cadre de la plaine du Forez et dans une antiquité gauloise mythifiée : « Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez, qui en sa petitesse contient ce qu’il y a de plus rare au reste des Gaules… ». L’Astrée connaît un énorme succès puisque « des bergères d’Urfé chacun est idolâtre » ainsi que le chante La Fontaine en 1687, tandis que le neveu de Corneille, Fontenelle, soupire « mais quand je lis l’Astrée, où dans un doux repos/ l’Amour occupe seul de plus charmants héros,/ Dieux, que je suis fâché que ce soit un roman!/ J’irai vous habiter agréable contrée… ». L’engouement perdure jusqu’au XVIIIème siècle,  et Voltaire comme Rousseau, tombèrent eux-aussi dans leur jeunesse sous le charme des aventures galantes décrites dans l’Astrée.

Le précurseur Honoré d’Urfé jette ainsi avec son œuvre, tout à la fois code de civilité et d’éducation, les bases du roman psychologique et annonce l’avènement du roman classique.

Même si l’Astrée a probablement été écrite dans la résidence de Châteaumorand à Saint-Martin d’Estreaux, elle est indissociable de la Bâtie d’Urfé, épicentre de la géographie romanesque de L’Astrée. Maison forte édifiée au XIIIème siècle sur le site d’une grange monastique, le site est aménagé en château d’agrément par Claude d’Urfé (1501-1558), grand-père d’Anne et d’Honoré. Ambassadeur de François 1er puis de Henri II en Italie et auprès du Pape, Claude d’Urfé y a découvert très tôt la Renaissance italienne. Amis des arts et philosophe, il fait embellir la Bâtie en s’inspirant de ce qu’il a vu de l’autre côté des Alpes, faisant appel à des artisans italiens comme à des maîtres et ouvriers locaux, et métamorphosant l’austère bâtisse en un authentique château Renaissance, le premier construit en France.

Malgré des rééditions régulières, partielles ou non, de l’Astrée, malgré sa mise en musique, dès 1691, sur un livret de Jean de La Fontaine, malgré même son adaptation en bande dessinée en 2002, à l’opéra, par Gérard Pesson en 2006 à Stuttgart, et au cinéma, en 2007, par Eric Rohmer, l’œuvre romanesque d’Honoré d’Urfé peine à franchir les siècles et à séduire un public toujours plus déraciné et avide d’instantané.

Au final, c’est certainement le château de la Bâtie qui demeure le témoignage le plus accessible du roman d’Honoré d’Urfé. Située sur la commune de Saint-Etienne-le-Molard, dans le département de la Loire, la bâtisse Renaissance accueille, le long de du Lignon, rivière emblématique du roman qui est évoqué dès les premières lignes du texte (« Plusieurs ruisseaux en divers lieux vont baignant la plaine de leurs claires ondes, mais l’un des plus beaux est Lignon, qui vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source… »), un petit itinéraire-souvenir, Les Chemins de l’Astrée, qui perpétue l’auteur et l’œuvre, en donnant, qui sait, l’envie de s’y (re)plonger.

Sylvain Roussillon

Article paru dans Livr’Arbitre n°40 (décembre 2022)