Les JO de 1936 : une victoire allemande
La France et la ville de Paris accueillent les Jeux olympiques cet été, dans des conditions qui s’annoncent pour le moins chaotiques… Pourtant, le contexte des jeux a généralement été utilisé par le pays hôte, depuis longtemps, pour valoriser son image, son sens de l’organisation, ses dirigeants, sa politique.
A ce titre, la XIème Olympiade, organisée à Berlin, constitue un modèle du genre.
Normalement, la capitale allemande aurait dû être ville olympique dès 1916. Mais, la Première Guerre mondiale empêche bien entendu toute compétition sportive. Après la tenue des Jeux à Amsterdam en 1928, la question de la réattribution d’une olympiade à l’Allemagne se pose au Comité international olympique (CIO). En 1929, Berlin présente sa candidature pour les Jeux d’été de 1936. Opposée à celle de Barcelone, elle l’emporte en 1931 par 43 voix contre 16.
Boycott ou pas ?
La question de l’attribution connait évidemment un rebondissement inattendu en janvier 1933 avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir. La communauté juive américaine, notamment, demande le boycott des jeux en Allemagne. La pression est telle que le CIO, réuni en session à Vienne au début du mois de juin 1933 inscrit la question à l’ordre du jour. Les autorités allemandes sont alors prêtes à donner tous les gages possibles concernant essentiellement la place des athlètes juifs dans les jeux. Le président du comité d’organisation, Theodor Lewald, nommé en 1931, dont le père est juif et dont la tante, Fanny, est une célèbre romancière féministe, est maintenu à son poste. C’est lui qui invente pour ces jeux le principe du relais de la flamme olympique. Il est supervisé par Hans von Tschammer und Osten, le Reichssportführer, Commissaire du Reich pour l’Éducation physique. Ce dernier promet au CIO que les athlètes juifs étrangers pourront librement accéder aux épreuves. Concernant les Juifs allemands, ils ne seront pas interdits d’Olympiade, à la condition d’être régulièrement désignés par leur fédération.
Les autorités olympiques se montrent volontiers dupes des promesses allemandes, notamment le président du CIO, le Belge Henri de Baillet-Latour qui déclare d’ailleurs : « Je n’affectionne pas personnellement les Juifs, mais je ne les importunerai d’aucune façon ».
En revanche, il n’en va pas de même des autorités sportives américaines, soumises à une triple pression : économique, politique et syndicale. Le choix revient au final aux administrateurs de la puissante Amateur Athletic Union (AAU). Son président, Jeremiah T. Mahoney, partisan du boycott, invoque la lutte contre la discrimination dont sont victimes les Juifs en Allemagne, et le fait que la plupart des clubs sportifs leur soient fermés. Son vice-président, Avery Brundage, opposé au boycott, rappelle que les Etats-Unis eux-mêmes pratiquent la ségrégation raciale dans bon nombre de leurs états, et que les Juifs sont exclus de certains clubs comme par exemple dans l’Illinois. En décembre 1935 finalement, l’AAU vote la participation aux Jeux de Berlin par une courte majorité de 58 voix contre 56.
Des « contre-jeux », baptisés « Olympiades populaires », seront pourtant convoqués pour le 19 juillet 1936 à Barcelone, avec le soutien de l’Espagne et de l’Union soviétique. Des délégations de sportifs anti-fascistes, en provenance d’une vingtaine de pays, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, y sont présentes. Ces délégations vont constituer les premiers noyaux des Brigades internationales dans la Guerre civile espagnole qui éclate les 17 et 18 juillet.
Une vitrine pour l’Allemagne nazie
Dix-neuf sports et 129 épreuves sont au programme de ces Olympiades disputées par presque 4000 athlètes originaires de 49 pays. La construction du stade est confiée aux architectes Walter et Werner March dont le père avait déjà réalisé le projet de stade de 1916. L’ouvrage est colossal pour l’époque, pouvant contenir plus de 100 000 spectateurs. Un des virages sera réservé aux SA. Le village olympique est aussi l’œuvre des frères March. Le site principal, baptisé, sans second degré, « Village de la Paix », est situé à Wustermark, dans la banlieue de Berlin. Il est composé d’un bâtiment d’accueil, « la Maison des Nations », de 136 immeubles résidentiels, chacun décorés par des étudiants allemands des Beaux-Arts, de 38 restaurants et cantines, d’un gymnase, d’une piscine, d’une piste d’athlétisme, d’un sauna, d’un hôpital, de magasins, d’un bureau de poste, d’une banque et d’une salle de spectacles, la « Maison Hindenburg ». Des concerts, certains assurés par l’Orchestre philarmonique de Berlin, des représentations de danse, des projections de films y sont organisés. Un journal plurilingue, Der Dorfbote (Le Messager du Village) est distribué gratuitement aux athlètes, à l’encadrement et aux visiteurs. Des cigognes vivantes, sensées symboliser un village allemand typique, nichent même sur la place centrale du village.
Pour les organisateurs, le village olympique de 1936 est une réussite spectaculaire qui tranche avec les préfabriqués inconfortables des Jeux de Los Angelès de 1932.
Afin de couvrir cet évènement planétaire, Hitler a confié à la jeune cinéaste Leni Riefenstahl le soin de filmer les épreuves. La jeune femme s’est rapprochée du parti nazi dès 1932 après un meeting qui l’a enthousiasmée : « Son discours [celui d’Hitler] exerçait sur moi une véritable fascination ». Son travail est admiré par Goebbels, comme par Hitler qui la charge de filmer les rassemblements du parti. C’est ainsi qu’est né le monumental film de propagande Le Triomphe de la volonté (1935).
Le documentaire sur les Jeux, connu en France sous le nom des Dieux du stade (Olympia, titre originel), est doté de moyens extraordinaires avec un budget d’un million et demi de Reichsmarks, une équipe de 300 collaborateurs et une quarantaine de cadreurs. Les innovations techniques et technologiques (maîtrise du téléobjectif, caméra sous-marine, etc) abondent et font de ce film, longtemps réduit à une seule œuvre de propagande, un objet cinématographique de grande qualité qui a retrouvé aujourd’hui une place méritée dans l’histoire du cinéma. Mais, la principale audace d’Olympia n’est-elle pas d’abord le fait que, à contre-courant de l’époque, sa réalisation ait été confiée à une femme, de 34 ans seulement ?
La légende Jesse Owens
Du côté des épreuves sportives, l’Allemagne sort largement gagnante au tableau des médailles. Avec 89 médailles, le Reich devance en effet nettement les Etats-Unis (56). Suivent la Hongrie et l’Italie. La France, avec 19 médailles, est 5ème ex-aequo avec la Finlande. Notons la domination sportive des régimes « forts » sur les démocraties…
Cependant, si c’est bien un Allemand, le gymnaste Konrad Frey, qui décroche le plus de médailles (6 au total, dont 3 en or), c’est la performance de l’afro-américain Jesse Owens qui retient l’attention. Avec 4 médailles d’or (100 m, 200 m relais 4 × 100 m et saut en longueur), il signe une performance sportive de premier ordre. Mais, plus que la performance en tant que telle, c’est plutôt la légende construite autour du personnage qui a contribué à sa célébrité.
On connait en effet tous l’histoire. Furieux de voir un Noir remporter l’épreuve reine du 100 m, Hitler refuse de lui serrer la main et quitte le stade. Martelée à sassiété, cette fiction qui est devenue une vérité non contestable. Et pourtant… elle est non seulement démentie par les faits, mais aussi par le principal intéressé lui-même : Jesse Owens.
D’abord, Hitler avait pris l’habitude de venir saluer tous les médaillés allemands. Le président du CIO, Henri de Baillet-Latour lui a fait rapidement observer que ce n’était pas conforme aux pratiques olympiques et qu’il devait saluer tous les médaillés, ou aucun. C’est dès lors cette option qui a été retenue par le dirigeant allemand.
Ensuite, concernant la rage d’Hitler, c’est Jesse Owens lui-même qui balaie la fable. « Quand je suis passé devant le Chancelier, note-il, il s’est levé, a agité la main vers moi, et je lui ai répondu. Je pense que les rédacteurs des journaux et tout le monde parlent de cela parce que c’est une histoire agréable ». Loin de la fiction, le Führer salue donc l’athlète américain. « Hitler ne m’a pas snobé, ce sont les Américains qui m’ont snobé ». Lors de la cérémonie organisée en l’honneur des athlètes américains qui ont remporté des médailles, le président Roosevelt n’a pas cru bon inviter Owens à la Maison Blanche…
Un grand sportif, qui est aussi un homme sympathique et modeste, cela fait incontestablement une belle histoire. Mais, la belle histoire ne suffit pas toujours à résister à la légende qui lui est toujours préférée.
A l’issue de ces jeux, les autorités allemandes peuvent considérer l’opération comme réussie. L’impact, la publicité mondiale, l’organisation, le déroulement des épreuves, la maîtrise du spectacle, l’encadrement technique, etc., tout a contribué à la démonstration de force d’un régime qui n’a plus rien d’un épiphénomène. La propagande nazie a fonctionné à plein régime, notamment dans la presse étrangère.
Article paru dans le n* 81 de R&A