Histoire – Le XIXème siècle américain – la naissance d’interventionnisme

Le XIXème siècle américain : de la vocation continentale à la domination mondiale

Le  XIXème siècle, aux Etats-Unis, apparaît généralement, sur le plan militaire, comme une période de déchirements internes, principalement émaillée de guerres indiennes, avec, en point d’orgue, la terrible Guerre de Sécession qui, de 1861 à 1865, va durablement marquer les esprits. Cependant, ces conflits, largement popularisés par le cinéma, occultent une autre réalité guerrière : celle qui voit émerger une Amérique volontiers interventionniste et bientôt résolument impérialiste.

Haro sur Tripoli

Le siècle s’ouvre à peine que les Etats-Unis sont contraints à une intervention militaire visant à sécuriser leur commerce maritime. En effet, dès l’indépendance des Treize colonies, les navires battant pavillon du nouvel état américain ne bénéficie plus, et c’est logique, du soutien de la Royal Navy. Dès lors, ils deviennent la proie des régences et états barbaresques d’Afrique du Nord et le jeune gouvernement américain doit payer un tribut aux beys de Tunis, d’Alger et de Tripoli. Lorsqu’en 1800, le souverain de Tripoli décide d’augmenter le montant de sa « protection », les Etats-Unis se rebiffent et décident d’enclencher l’épreuve de force. Plusieurs combats navals se déroulent, de 1801 à 1805, et s’achèvent par un engagement terrestre, celui de Derma, en Cynéraïque, qui conduit Tripoli à cesser ses exigences. Cette bataille est d’ailleurs la première remportée par les Etats-Unis sur un sol étranger. Une seconde guerre barbaresque, très courte, interviendra, en 1815, pour les mêmes raisons, entre la régence d’Alger et la jeune nation américaine.

Naissance d’une nation

Si la Déclaration d’Indépendance américaine date bien de 1776, elle ne marque pas réellement pour autant la naissance d’un sentiment national fort du côté des Etats-Unis. Le Parti fédéraliste, héritier des Pères fondateurs de la jeune nation américaine, peine à se détacher vraiment de son ancienne puissance tutélaire qu’est l’Angleterre. L’indépendance est certes actée juridiquement dans les textes, mais elle ne l’est pas encore complètement dans les esprits. C’est en ce sens que la Guerre de 1812 constitue un changement radical. Voulue par les tenants du Parti démocrate-républicain, elle signe la véritable émergence du sentiment national américain. Bien plus que 1776, la période 1812-1814 constitue le creuset fondateur de la nation américaine. Il convient de souligner aussi les conséquences idéologiques de ce conflit sur l’état d’esprit des dirigeants américains. Certes, la guerre s’achève sur un statu quo ante bellum, mais ils en retirent cependant un étrange sentiment de puissance. N’ont-ils pas, après tout, tenu tête à la première puissance militaire, maritime et économique de l’époque ? James Monroe, Secrétaire d’Etat chargé des affaires étrangères durant tout le conflit, poste qu’il a cumulé avec celui de Secrétaire à la Guerre durant les derniers mois, ne peut que constater que les Etats-Unis se sont complètement libérés de la tutelle coloniale et dès lors théoriser l’idée que l’Europe ne doit plus interférer dans les affaires du continent américain. C’est ce qu’une fois Président, il énoncera en 1823, et qui passera à la postérité sous le nom de « Doctrine Monroe ».

« Pauvre Mexique… »

La question des liens avec l’ancienne puissance coloniale, et par conséquent des frontières canadiennes, ayant en grande partie été réglée par la Guerre de 1812, les Etats-Unis vont se pencher, assez durablement, sur leurs relations avec leur voisin du sud, le Mexique. Au début des années 1830, la fragile république mexicaine voit l’une de ses provinces, le Texas, réclamer son indépendance. Cet épisode, immortalisé par la bataille de fort Alamo, est en bonne partie le fruit d’une agitation orchestrée par les colons américains, encouragés par les autorités de Washington. Près de 78% des combattants texans, qui finissent par arracher l’indépendance, sont d’ailleurs des citoyens des Etats-Unis. L’intégration du Texas, territoire indépendant de 1836 à 1846, au sein de l’Union, entraîne une guerre frontale entre le Mexique et les Etats-Unis, finalement victorieux. Ce conflit inaugure une longue tradition d’interventions armées et d’expéditions militaires américaines sur le sol mexicain, telles que la Guerre de la Réforme (1858-1861), les troubles de Cortina en 1859 et 1860, la guerre de Las Cuevas (1875), la Salinero Revolt (1877-1878), la Crawford affair (1886), la Garza revolution (1891-1893), le soulèvement de Nogalès (1896). Ce n’est pas sans raison que le général Diaz, président du Mexique de 1884 à 1911 peut s’exclamer : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des Etats-Unis ».

La « Destinée manifeste ».

En atteignant la côte ouest de l’Amérique du nord en 1805, l’expédition Lewis et Clark, première à traverser le futur territoire des Etats-Unis jusqu’au Pacifique, ouvre des horizons géopolitiques nouveaux. Les premiers comptoirs sur la côte ouest voient le jour à partir de 1811, d’abord dans le futur état de l’Oregon. Et, pour défendre les intérêts américains dans cette partie du globe, une force navale, l’Escadre du Pacifique, est constituée en 1821. Surtout, une forme de pensée émerge dans cette première moitié de siècle, celle de la « Destinée manifeste » (Manifest Destiny). Pour bon nombre d’Américains, de la même manière que l’Amérique s’apparente à une terre promise pour les Pères pèlerins arrivés à bord du Mayflower en 1620, il est de leur « destinée manifeste de (se) déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de (leur) grandissante multitude », ainsi que l’écrit le journaliste new-yorkais John O’Sullivan.

Par extension, les jeunes Etats-Unis s’arrogent le droit d’intervenir partout où ils estiment que leurs intérêts l’exigent, sur le continent américain, comme en Asie et en Océanie. La liste est longue de ces expéditions, raids et mini-guerres, aujourd’hui pour la plupart oubliées, qui parsèment le siècle avec des interventions au Pérou (1821 et 1835), à Sumatra (1831 et 1838), aux Fidji (1840, 1855 et 1858), en Micronésie (1841), en Chine (1843, 1854, 1855, 1859, 1866, 1894, 1895 et 1898), au Nicaragua (1853, 1854, 1857, 1867, 1894, 1896, 1898 et 1899), en Argentine (1852 et 1890), au Japon (1853, 1854, 1863, 1864 et 1868), en Uruguay (1855, 1858 et 1868), au Panama, alors territoire Colombien (1856, 1860, 1865 et 1873), au Paraguay (1859), à Formose, aujourd’hui Taiwan (1867), en Colombie (1868 et 1885), en Corée (1871, 1888 et 1894), à Honolulu (1874), à Haïti (1888 et 1891), aux Samoa (1888 et 1889, 1898 et 1899), au Chili (1891)… Dès le XIXème siècle, on voit ainsi, au fil des interventions militaires américaines, se dessiner la carte des zones d’influence, toujours actuelles, des Etats-Unis.

Durant cette même période, une poignée d’autres interventions, tout aussi méconnues et oubliées, aura lieu en Afrique et dans le bassin méditerranéen, en Grèce (1827), à Smyrne (1849), dans l’Empire ottoman (1851), aux Comores (1851), en Angola (1860 et en Egypte (1882).

Aloha Hawaï

L’archipel d’Hawaï, devenu en 1959 le 50ème état de l’Union, a fini par faire les frais de cet interventionnisme tout azimut. En 1893, la reine Liliʻuokalani, tente de revenir sur les accords commerciaux déséquilibrés que les Etats-Unis ont imposés en 1874. Elle est alors renversée par une coterie de commerçants et d’hommes d’affaire hawaïens et américains. Une éphémère république, placée sous la protection des Etats-Unis est proclamée. Finalement, en 1898, son président, un américain né à Honolulu, Sanford Dole, demande l’annexion de l’archipel par les Etat-Unis. Il deviendra le premier gouverneur du nouveau territoire.

Cuba libre

Le siècle s’achève dans la droite ligne de la Doctrine Monroe, avec l’éviction continentale, par les Etats-Unis, de la dernière puissance coloniale européenne encore fortement présente dans les parages : l’Espagne. Prenant prétexte de l’explosion, très probablement accidentelle, de l’USS Maine, dans le port de la Havane à Cuba, alors colonie espagnole, les Etats-Unis entrent en guerre contre la vieille monarchie ibérique en avril 1898. Le conflit est de courte durée et l’Espagne, militairement balayée en quatre mois, abandonne aux Etats-Unis ses dernières colonies américaines (Cuba et Porto-Rico) et pacifico-asiatiques (Guam et les Philippines). Cuba accède à l’indépendance en 1902, mais demeure sous influence américaine jusqu’à la victoire de Fidel Castro. Les Philippines, engagées dans une guerre d’indépendance contre le nouvel occupant américain en 1899, devront attendre 1946 pour devenir un état de plein droit. On sait que Guam et Porto-Rico sont toujours des possessions américaines.

Un nouvel impérialisme

Une première étape de la Doctrine Monroe est alors achevée, puisque l’Europe ne fait désormais plus que de la figuration sur le continent américain. Par une sorte de déviation liée à l’essor démographique et économique du pays, cette doctrine, initialement fondée comme une sorte de repli des Etats-Unis sur son continent, va servir de support à l’impérialisme américain naissant. Cette dérive sera officialisée par le « Corollaire Roosevelt » ou encore, plus explicitement, le « Corollaire de la doctrine de Monroe », du nom d’un discours prononcé par le président Theodore Roosevelt, en 1904, et qui redéfinit le périmètre de la zone d’influence américaine. Celle-ci ne se limite plus en effet au seul continent américain, mais englobe désormais l’ensemble des secteurs géographiques qui, d’une manière ou d’une autre, contribuent aux intérêts américains. Roosevelt connaissait bien l’histoire de 1812, à laquelle il avait consacré un ouvrage, The naval war of 1812, publié en 1882. En outre, il avait été colonel d’une unité de volontaires américains, les Rough Riders, durant la Guerre de 1898 contre l’Espagne.

L’heure de l’extension planétaire des Etats-Unis commence alors.

Sylvain Roussillon

Article paru dans la Revue d’Histoire Européenne n°14 (février 2023)