Communautés – Camisas et Pancho Villa, le célèbre bandit et révolutionnaire mexicain

Les Cowboys de l’Ordre nouveau

Lorsque l’on évoque la figure de Pancho Villa, le célèbre bandit et révolutionnaire mexicain, les stéréotypes ne manquent pas. Sombréros, cartouchières, nuages de poussière, charges de cavalerie et attaques de trains, bombonne de téquila et cucaracha (la chanson désignant tout à la fois des cafards ou de la marijuana) alimentent l’imaginaire populaire depuis près de 100 ans maintenant. Mais, au-delà de ces clichés, au-delà des images d’une révolution explosive et ensoleillée, l’épopée « villiste » a donné naissance à un curieux mouvement fascisant, aujourd’hui oublié, même au Mexique.

 Lorsque la paix revient, en 1920, dans ce vaste pays ravagé par dix ans de révolutions et de guerres civile qui ont vu de multiples factions se faire et se défaire, s’allier ou se combattre au gré des assassinats, des exils et des trahisons, la reconstruction s’annonce compliquée. Le vainqueur final de ces dix années de chaos, Álvaro Obregón, instaure une république autoritaire progressiste. Malgré des avancées en matière de réforme agraire, le nouveau régime n’a pas grand-chose à envier à l’ancienne dictature du vieux général Diaz. La corruption est toute autant généralisée qu’avant, les Etats-Unis continuent à piller les ressources, notamment pétrolières, du pays, l’arbitraire politique règne et les opposants au régime peuvent être arrêtés, et exécutés, sans autre forme de procès. Seule nouveauté, l’application des lois anticatholiques voulues par les francs-maçons génère de nouvelles résistances qui aboutissent, d’une part à l’assassinat d’ Obregón, d’autre part à un soulèvement armé des catholiques, de 1926 à 1929, connu sous le nom de Guerre des Cristeros

Le régime, sous des apparences progressistes et libérales, n’est en réalité qu’une nouvelle oligarchie, incapable de résoudre les problèmes sociaux des Mexicains, impuissant devant l’impérialisme américain. La formule aigre-douce du général Diaz, « Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des Etats-Unis… », reste plus que jamais d’actualité.

C’est dans ce contexte, qu’en septembre 1933, Nicolás Rodríguez Carrasco, un ancien général de l’Armée du nord, vétéran de la Guerre civile sous les ordres de Pancho Villa, fonde l’Acción Revolucionaria Mexicanista (ARM-Action Révolutionnaire Mexicaine). Le mouvement sera plus connu sous le nom de « Chemises dorées » (Camisas doradas), en référence aux troupes d’élite de Pancho Villa, qui portaient une chemise de couleur jaune et qu’il surnommait « les dorés ». La base originelle du mouvement est d’ailleurs largement composée de vétérans des troupes villistes. Nicolás Rodríguez Carrasco ne cache d’ailleurs pas son admiration pour d’autres organisations similaires : « L’ARM est une organisation composée principalement d’anciens soldats, écrit-il, et nous nous sentons naturellement étroitement liés aux organisations d’anciens combattants de tous les pays, telles que la Légion américaine, la Croix de feu et les casques d’acier allemands ».

A l’échelle du continent, l’ARM est en lien régulier avec les différents groupes fascistes et fascisants nord-américains, essentiellement les Silver shirts et le Bund germano-américain, mais aussi avec le Ku Klux Klan.

Le mouvement affiche des idées très anticommunistes et très anti-asiatiques, l’immigration chinoise commençant à être très importante dans le Mexique des années 30. A cela s’ajoute une importante dimension antisémite. Financé par quelques industriels et grands propriétaires terriens -l’accusation des financements allemands et italiens, rabâchée par les communistes, ne résiste pas à l’examen- le mouvement semble bien plus réactionnaire que révolutionnaire. C’est d’ailleurs un des paradoxes de ce mouvement dont le noyau fondateur est issu de l’armée révolutionnaire de Pancho Villa. 

L’emblème du mouvement est un « yaoyotl », symbole de guerre aztèque associant un bouclier indien (chimalli) croisé par une épée traditionnelle en bois et pierre (macahuitl). Le mouvement se réfère en effet souvent au passé mésoaméricain du Mexique, glorifiant la période antérieure à la conquête espagnole. Cette attitude explique très certainement que 50% de effectifs du mouvement soit des Indiens, environ 45 000 militants, concentrés dans les états centraux de Tlaxcala (30% de population indienne), de Puebla (40%) et de Hidalgo (41%). Les 45 000 autres adhérents se répartissent sur l’ensemble du Mexique, avec cependant une forte concentration dans l’état de Mexico, la capitale fédérale, et surtout dans celui de Chihuahua, état de naissance de Pancho Villa et haut lieu de ses exploits révolutionnaires. 

Parallèlement à ce recrutement original, les Chemises dorées ont un uniforme et un signe de ralliement qui ne le sont pas moins. Exit les chemises ajustées, les cravates, les culottes de cheval et les bottes. Les militants des Camisas doradas portent une chemise traditionnelle de vaqueros -ou de cowboys-, ample, en coton, de couleur jaune. A cela viennent s’ajouter des pantalons de toile ou des jeans, parfois agrémentés de jambières de cuir dans la plus pure tradition du western. Et, pour faire bonne mesure, un sombrero ou un stetson vient parachever le tout. 

Le salut même des Chemises dorées sort des sentiers battus. Exit le salut romain habituel, le geste adopté est le poing levé, mis pas le gauche, comme les marxistes. Ce poing droit levé trouve son origine dans le passé du Mexique. Il se déroule en deux étapes :  la première consiste à porter la main au cœur (poing fermé ou main ouverte) en guise de serment au bouclier du Yaoyotl, puis et enfin le bras est levé avec le poing fermé ( salutation aztèque de la victoire).

Le 20 novembre 1935, le mouvement décide de participer aux cérémonies et au défilé qui marque la victoire de la révolution mexicaine. Après tout, il s’inscrit dans cet héritage et bon nombre de ses adhérents sont d’authentiques vétérans de cette période. Mais la gauche mexicaine, menée par le Parti communiste, ne l’entend pas ainsi. Il est vrai que syndicalistes et communistes sont, depuis plusieurs mois, l’objets de nombreuses attaques armées de la part des Camisas doradas. Le jour venu, près de 5000 cavaliers du mouvement sont réunis à Mexico aux abords de la place de la Constitution, dite aussi place Zocalo. Des groupes communistes s’amusent à jeter des pétards sous les pieds des chevaux. La tension monte entre les uns et les autres, et Nicolás Carrasco donne l’ordre à ses hommes de charger à travers la place et de disperser les groupes communistes. Mais, les chauffeurs de taxi du Front Uni des Ouvriers ripostent en fonçant à leur tour, au volant de leur véhicules, contre les nationalistes à cheval. Plusieurs d’entre eux sont heurtés et blessés, dont Nicolás Carrasco. Toute la journée, des groupes de militants communistes, à pied ou en voiture, se battent contre les Chemises dorées à cheval, les uns et les autres armés de gourdins, de machettes, de révolvers. A la fin de la journée, on relève 3 morts et une cinquantaine de blessés graves.

A la suite de cette « bataille de Zocalo », le sénat mexicain procède à la dissolution de l’ARM et des Camisas doradas, ainsi que des milices du Parti communiste, les « Chemises rouges » -le parti lui-même n’étant pas inquiété. Les dizaines de milliers de Chemises dorées vont alors se disperser au sein d’une myriade de mouvements : l’Union nationaliste mexicaine, avec la devise de « Patrie, justice et liberté », l’Avant-Garde nationaliste mexicaine, le Parti National pour le salut public, l’Union nationale des Vétérans de la révolution, le Parti révolutionnaire anticommuniste, etc. Quant à Nicolás Carrasco, il part en exil au Texas, où il meurt en 1940.

Les Dorados (les Dorés) continuent cependant à représenter une vraie force activiste et militante. En 1938, ils participent à la tentative de coup d’état du général Saturnino Cedillo, puis ils soutiennent la candidature malheureuse à l’élection présidentielle, marquée par des fraudes massives, du général Juan Andreu Almazán en 1940. Après la Seconde Guerre mondiale, les Dorados sont marginalisés par l’Union nationale sinarchiste, un mouvement traditionaliste et tercériste. Les Dorados se signalent cependant de manière épisodiques, comme le 1er mai 1952, en attaquant un cortège communiste devant le palais des Beaux-arts de Mexico, tuant deux militants des jeunesses communistes. En 1968, des groupes de Dorados participent, aux côtés de l’armée, à la répression du mouvement étudiant. Ils en sont remerciés en 1976 en étant officiellement invités aux cérémonies de translation des restes de Pancho Villa dans le Monument de la Révolution érigé à Mexico. En 1991, une tentative de reconstitution de l’ARM a cependant été refusée par l’Institut fédéral électoral. 

Ce mouvement, assez peu intéressant sur le plan idéologique, puisque son « fascisme » est un conservatisme militarisé, l’est bien plus sur le plan sociologique. Nous avons titré « les cowboys de l’Ordre nouveau », mais il aurait peut-être été plus juste d’écrire « Les Indiens… ». En ces temps de repentance de toutes les puissances ex-coloniales, voir un mouvement qui a eu une très large base, peut-être même légèrement majoritaire, issue de populations indiennes, revendiquant son héritage aztèque, a un côté réconfortant…

Sylvain Roussillon

Paru dans Zentromag n°14