Portraits – Bussy-Rabutin – militaire, courtisan, libertin, écrivain, Académicien français

Le scandaleux Bussy-Rabutin

Il fut militaire, courtisan, libertin, écrivain, Académicien français. Sa vie est scandée de batailles, de duels, d’affaires galantes et de scandales. Sa cousine, la marquise de Sévigné, a même forgé, sur son patronyme, le mot « rabutinage », et le verbe « rabutiner », qui signifie railler son prochain. Petit éclairage sur le plus infréquentable des écrivains bourguignons : Roger de Bussy-Rabutin.

Né en 1618 au château d’Epiry près d’Autun, il est le troisième fils de Diane de Cugnac et de Léonor de Rabutin. La mort de ses frères le laisse seul héritier de la famille. En 1634, il prend le commandement du régiment de Bussy-Rabutin, levé par son père en 1627. Sous les ordres du Duc de la Force, puis du « Grand Condé » et de son ami le maréchal de Bassompierre, il participe à la Guerre de Trente Ans et à la Guerre Franco-espagnole. Durant la Fronde, il se rallie rapidement au jeune roi Louis XIV. Il atteint le grade de lieutenant général des armées, mais ne sera jamais récompensé par le maréchalat. La faute à sa terrible manie de « rabutiner »… En effet, il ne peut résister à l’envie de composer des chansons et des vers satiriques, voire persifleurs, ciblant militaires et courtisans. Le maréchal de Turenne, qui le commande dans les Flandres en 1657 et 1658, ne le lui pardonnera pas.

Le débauché de Roissy

Galant et libertin de longue date, il a déjà frôlé le scandale, en 1646, en enlevant une jeune veuve de 20 ans dont il imaginait qu’elle partageait ses élans. Mais la belle a pardonné et il a payé une solide compensation à la famille. Pourtant, en 1659, il est impliqué dans une nouvelle affaire, connue sous le nom de « débauche de Roissy ». Pendant la Semaine sainte, à l’invitation du duc de Vivonne, premier gentilhomme de la Chambre du roi, une gigantesque orgie se déroule dans le château des Caramans, à Roissy. On mange trop, on boit énormément, on couche aussi beaucoup. Le neveu de Mazarin est de la partie, ainsi que l’un des aumôniers de la Cour, qui aurait même baptisé un cochon de lait ! Le parti dévot, puissant dans l’entourage de la reine Anne d’Autriche, est hors de lui, plutôt à juste titre, il faut le reconnaître. Mazarin, à qui on rapporte en plus quelques « rabutinages » assassins tenus par le turbulent Bussy-Rabutin, impose à celui-ci, un premier exil sur ses terres bourguignonnes, loin de la Cour. 

L’incorrigible persifleur

Bussy-Rabutin met cette épreuve à profit pour rédiger sa célèbre Histoire amoureuse des Gaules. L’ouvrage est une chronique scandaleuse des mœurs de la Cour, agrémentée de quelques portraits acides, dont celui de sa cousine, madame de Sévigné, ce qui engendrera une brouille passagère entre les deux. « Un sot éveillé, écrit-il à son propos, l’emportera toujours auprès d’elle sur un honnête homme sérieux. La gaieté des gens la préoccupe, elle ne jugera pas si l’on entend ce qu’elle dit : la plus grande marque d’esprit qu’on lui peut donner, c’est d’avoir de l’admiration pour elle ; elle aime l’encens ; elle aime être aimée, et, pour cela, elle sème afin de recueillir ; elle donne de la louange pour en recevoir. Elle aime généralement tous les hommes ; quelque âge, quelque naissance et quelque mérite qu’ils aient, et de quelque profession qu’ils aient ; tout lui est bon, depuis le manteau royal jusqu’à la soutane, depuis le sceptre jusqu’à l’écritoire ».

Les pseudonymes dont il affuble les uns et les autres sont trop transparents pour qu’on se méprenne. Le texte n’a d’ailleurs pas vocation a être publié. Bussy-Rabutin l’a écrit pour distraire sa maitresse, Mme de Montglat, convalescente après une longue maladie. Mais le manuscrit est recopié par la perfide marquise de La Baume qui le fait imprimer ! Cependant, contrairement à une légende tenace, ce n’est  pas ce pamphlet qui vaut à Bussy-Rabutin sa disgrâce complète. En effet, le roi, bien que lui aussi égratigné, s’en est beaucoup amusé. Qui plus est, il avait apprécié un écrit antérieur, les Maximes d’amour, qui lui valent, en 1665, son élection à l’Académie française, au fauteuil numéro 20. 

Mais, s’il est prompt à égratigner les autres, Bussy-Rabutin a en revanche une haute opinion de lui-même et brosse, dans son Histoire amoureuse des Gaules, cet autoportrait flatteur : « Roger de Rabutin, comte de Bussy, maître de camp de la cavalerie légère, avait les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand tirant sur l’aquilin et le front avancé, le visage ouvert, la physionomie heureuse, les cheveux blonds déliés et clairs ; il avait dans l’esprit de la délicatesse et de la force, de la gaieté et de l’enjouement ; il parlait bien ; il écrivait juste et agréablement ; il était né doux mais les envieux que lui avaient faits son mérite l’avaient aigri; en sorte qu’il se réjouissait volontiers avec ses amis aux dépens des gens qu’il n’aimait pas ; il était bon ami et régulier ; il était brave, sans ostentation ; il aimait les plaisirs plus que la fortune, mais il aimait la gloire plus que les plaisirs ; il était galant avec toutes les dames et fort civil… ».

Cependant, l’année suivante, un autre pamphlet circule. Intitulé La France galante, le texte anonyme met en scène les amours royales, avec une certaine vulgarité dans le langage. On ne prête qu’aux riches et Bussy-Rabutin se voit accusé d’en être l’auteur (le commanditaire, sinon l’auteur lui-même, semble en réalité avoir été le prince de Condé). Cette fois la coupe est pleine. Le roi n’a pas aimé la charge, trop crue, le parti dévot se déchaine et les amis de l’imprudent Bourguignon se lassent de ses incartades à répétition. 

Démis de toutes ses charges et fonctions (il était notamment intendant du roi pour le Nivernais), Bussy-Rabutin est exilé sur ses terres après un séjour de 13 mois à la Bastille.

Du plaisir de rabutiner entre cousins

Il ronge son frein, quoiqu’il écrive et prétende le contraire, mais il le répète trop souvent pour que ce soit sincère : « un honnête homme fait tout ce qu’il peut pour s’avancer, et se met au-dessus des mauvais succès quand il n’a pas réussi » écrit-il à sa cousine le 23 mai 1667. Bussy-Rabutin va donc consacrer ses dix-sept années d’exil à écrire et à embellir sa demeure de Bussy-le-Grand dans l’Auxois. Maison forte construite au XIIème siècle, l’édifice a été aménagé en château d’habitation au XVème siècle. 

En dehors de ses Mémoires, qui ne seront édités qu’à titre posthume, Bussy-Rabutin entretient une correspondance régulière avec Mme de Sévigné, née Marie de Rabutin-Chantal. Si cette dernière est passée à la postérité grâce à sa correspondance notamment avec sa fille, Mme de Grignan, il ne fait nul doute que les échanges entre les deux cousins tiennent une place à part. Femme d’esprit, la marquise éprouve très certainement une joie particulière à la lecture des rabutinades de son sulfureux cousin. Les deux se comprennent à demi-mots et se complètent fort bien pour se moquer des autres. Mais elle se trompe en lui écrivant « L’histoire vous fera la justice que la fortune vous a si injustement refusée ». C’est en effet lui qui copie toute sa correspondance avec la marquise, et l’archive, avec les réponses de cette dernière, dans des registres particuliers, permettant ainsi à ses Lettres d’être sauvées de l’oubli puis éditées. La gloire de la marquise de Sévigné doit ainsi beaucoup à ce grand égocentrique qui, la suppliant de prendre soin d’elle, lui avait écrit : « avec qui pourrais-je avoir de l’esprit ? »

Le château des devises et maximes

Il est des lieux qui sont difficilement dissociables d’un homme, et d’une œuvre. Et c’est le cas du château de Bussy-Rabutin dans lequel il entreprend de grands travaux d’embellissement.  Il décrit ainsi à sa cousine une journée typique : 

« Vous saurez, madame, que je me lève assez matin ; que j’écris aussitôt que je suis habillé, soit pour mes affaires domestiques, soit pour mes affaires de la Cour et de Paris, soit pour autre chose… Après cela je me promène, je vais d’atelier en atelier car j’ai des peintres et des maçons, des menuisiers et des manœuvres ; et puis je dîne à midi. Je mange fort brusquement.

Après dîner je tiens cercle avec ma famille, avec qui je me divertis mieux qu’en mille visites de Paris. Quelque temps après je retourne à mes ouvriers. La journée se passe ainsi à tracasser. Ensuite je soupe comme j’ai dîné, je joue et je me retire à dix heures. »

Près de 500 tableaux et portraits agrémentent ainsi sa demeure. La galerie des rois de France, celle des grands hommes de guerre, qui commence avec Du Guesclin et se termine avec… Bussy-Rabutin lui-même. Jeanne d’Arc, en tant que femme, en est exclue. 

Par ailleurs, Bussy-Rabutin profite de ces travaux de décoration pour régler ses comptes. Son ancienne maîtresse, Mme de Montglat, qui l’a abandonné après ses déboires de Cour, est représentée à plusieurs reprises dans la salle des Devises. D’abord avec le corps d’une hirondelle, et la maxime suivante : « Elle fuit le mauvais temps ». Puis, avec un corps de sirène et le texte : « Elle attire pour perdre ». Ou alors, répandant de l’eau sur de la chaux, ainsi légendé : « Froide, elle enflamme ». Enfin, figurant sur le plateau le plus élevé d’une balance vide avec la maxime « Plus légère que le vent ». Le roi Soleil n’est pas épargné, avec ce panneau figurant l’astre du jour et ainsi commenté : « Plus de vertus que de lumière ».  

Bussy-Rabutin est finalement pardonné par Louis XIV en 1683, dix ans avant sa mort, et invité à assister à son lever. Mais la Cour lui réserve un accueil assez froid. Aussi préfère-t-il retourner en Bourgogne, peut-être enfin sincère et réconcilié avec lui-même et les autres,  lorsqu’il écrit « Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a ». 

Sylvain Roussillon

Paru dans Livr’Artibre n°42 (juillet 2023)