Histoire – Robert Boudarel

Les Collabos du Viêt Minh

Loin de la simple prise de position politique anticoloniale, certaines organisations de la gauche française ont adopté, durant la guerre d’Indochine des attitudes qui en d’autres temps auraient logiquement dû les conduire à la dissolution et amener leurs responsables et certains de leurs militants devant la Haute cour de justice. L’exemple le plus frappant de cette dérive reste bien évidemment le cas Robert Boudarel.

Ce militant communiste, enseignant à Saïgon, passe dans les rangs du Viêt Minh en 1950. En 1953, il devient commissaire politique du camp 113, chargé de la « rééducation » des prisonniers français. Durant l’année de son « office », sur les 320 compatriotes captifs dont il a la charge, 278 trouvent la mort, victimes des mauvais traitements, des tortures physiques et psychologiques. Conséquence des Accords de Genève, il est amnistié et, après avoir travaillé successivement à Hanoï, Moscou et Prague, il finit par rentrer en France en 1966. Coopté au CNRS par ses camarades communistes, il devient Maître de conférence à Jussieu, ses années en Indochine étant « validées » comme autant « d’expérience » !

Le scandale éclate en 1991, lorsqu’il est reconnu lors d’un colloque au Sénat par Jean-Jacques Beucler, un ancien prisonnier d’Indochine, qui va publiquement l’interpeller. Une plainte pour crime contre l’Humanité, déposée contre lui par des survivants des camps, sera finalement rejetée au motif que l’amnistie de 1966 couvre l’ensemble des faits incriminés. Un collectif d’une quarantaine d’universitaires « progressistes », par ailleurs grands prescripteurs de leçons de morale, s’était alors constitué pour sa défense, avec Jean Lacouture, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Perrault, Jean Chesneaux et tant d’autres spécialistes des indignations sélectives.

Si le personnage Boudarel est emblématique, il ne saurait masquer la trahison active menée par de nombreuses organisations qui se sont érigées en véritable cinquième colonne du collaborationnisme viêt minh. Si la vieille SFIO apparait divisée, la gauche chrétienne, à travers Témoignage Chrétien, de la JEC et du journal de la CFTC, Syndicalisme, prend clairement le parti du Viêt Minh, tout comme toute une nouvelle gauche, progressiste et intellectualisante, regroupée sous les couleurs du Monde, de L’Observateur politique, de Libération et, à partir de 1953, de L’Express. Mais la palme du militantisme collabo revient incontestablement au PCF et à la CGT.

Dès 1947, les députés communistes refusent de voter les crédits de guerre. En 1948, le PCF initie, autour de  Frédéric Joliot-Curie, le gendre de Pierre et Marie, et du préfet Yves Farge, le Mouvement des combattants de la liberté et de la paix, destiné à « soutenir le régime républicain et interdire le retour du fascisme et de la dictature ». Cette courroie de transmission, créée dans la plus pure tradition des organisations paravents du communisme, permet à André Marty, l’ancien « mutin de la mer Noire », un vieil habitué de la trahison en service commandé, de lancer en janvier 1949, la campagne du PCF « contre la sale guerre ». C’est-à-dire pour la victoire du Viêt Minh.

C’est la CGT qui est alors à la pointe de l’activisme communiste. Des grèves massives sont déclenchées dans tous les ports français, où les dockers cégétistes refusent de charger les matériels destinés à l’Indochine. C’est le cas à Marseille, Toulon, Dunkerque, St-Nazaire, Cherbourg, Brest et même Oran, port pour lequel on peut légitimement se demander dans quel état d’esprit seront ces mêmes dockers grévistes une douzaine d’années plus tard lorsque sonnera l’heure de l’abandon…

En marge de ces grèves, le PCF entreprend des campagnes de protestation dont certaines aboutissent à des arrestations que le parti instrumentalise pour accroître encore son audience. C’est notamment le cas avec Henri Martin, un ouvrier mécanicien de la base de Toulon, coupable de propagande communiste au sein de l’institution militaire, et avec Raymonde Dien, interpellée après une manifestation sauvage visant à ralentir un train de munitions. Après avoir respectivement effectué des peines de 3 ans et six mois de prison, peines très modestes pour des actes de trahison en période de guerre, l’un et l’autre feront carrière dans les structures du PCF.

Mais il y a bien plus grave. En 1947, un acte de sabotage mené par la section communiste d’Arras, sur la ligne Paris-Lille, à Agny, fera 16 morts et 30 blessés. De surcroit, dans les usines d’armement, les ouvriers de la CGT dégradent les armes et les munitions envoyées en Indochine : des grenades qui n’explosent pas, ou qui, au contraire, privées de système de retardement, sautent dans les mains des soldats, des canons d’armes obstrués par des balles et dont la déflagration mutile les utilisateurs…

Quant aux blessés français rapatriés, ils sont souvent accueillis par des manifestations hostiles lorsqu’ils débarquent à Marseille, et parfois injuriés, voire frappés, sur leur civière, lors de leur transfert à l’hôpital militaire.

Les collabos français du Viêt Minh ont ajouté le crime au déshonneur.

Sylvain Roussillon

Paru dans la Revue d’Histoire Européenne n°15 (mai 2023)