Histoire – La Guerre d’Espagne et les volontaires franquistes

Les volontaires franquistes

La Guerre d’Espagne (1936-1939) constitue un des grands marqueurs historiques du XXème siècle. Par sa durée, par la violence des passions qu’elle a soulevées, de Guernica à l’Alcazar, elle occupe une place singulière dans l’histoire militaire mondiale. Le rayonnement de cette guerre civile s’étend en réalité bien au-delà de la seule péninsule ibérique. Le recrutement des Brigades internationales, massivement orchestré, pour l’essentiel, par le Komintern, a largement occulté une autre histoire, concernant pourtant elle aussi des dizaines de milliers de combattants, celle des volontaires étrangers au service de la cause nationale et franquiste. 

La svastika et le faisceau 

Lorsque l’on évoque les combattants étrangers du côté national, on pense souvent aux Allemands de la Légion Condor, et aux Italiens du CTV (Corpo di Truppe Volontarie ou Corps des Troupes Volontaires). Inévitablement, se pose alors la question du caractère « volontaire » de ces hommes soutenus respectivement par l’Allemagne nationale-socialiste et l’Italie fasciste. Il semble bien pourtant qu’il faille convenir comme Hugh Thomas que « presque tous les Allemands qui allèrent en Espagne, particulièrement les aviateurs étaient de jeunes nazis […]. Il semble que la plupart ait été à proprement parler des volontaires ». Le constat est identique du côté italien. « Les volontaires partis directement d’Italie, écrit le journaliste suisse Georges Oudard, furent recrutés à l’intérieur des fasci d’une manière quasi identique à celle dont, dans les syndicats et les cellules communistes de chez nous et d’ailleurs, on enrôla à destination des Brigades internationales, les purs, les convaincus, les chômeurs et les petits gars enflammés ». Ajoutons que le fait de toucher une solde ne disqualifie en aucun cas le caractère volontaire de l’engagement de ces hommes. Volontariat ne veut pas dire bénévolat. Les volontaires républicains des Brigades internationales touchaient eux aussi une solde.

Les Italiens et les Allemands sont cependant loin de représenter la totalité des 180 000 volontaires étrangers. Issus de près de 60 pays et nations, ils se succédèrent sur le front – ils n’y furent jamais simultanément – durant les 32 mois du conflit. En outre, ils ne disposent pas de structures militaires ad hoc, comme la Légion Condor ou le CTV, pour les accueillir. Aussi vont-ils se répartir essentiellement entre la Légion (Le Tercio), les milices phalangistes et les milices carlistes. Quelques centaines choisissent les rangs de l’armée régulière, dont l’aviation, les services sanitaires ou différentes autres milices. Il faut d’ailleurs souligner que quelques dizaines d’Italiens et d’Allemands ne souhaitant pas s’engager dans leurs unités nationales se répartissent eux-aussi dans les troupes régulières ou miliciennes de l’armée franquiste.

Les Arabes de Franco

Les Marocains sont nombreux dans les rangs nationaux, conséquence d’une part de la présence espagnole dans la partie nord du royaume chérifien, et d’autre part de la politique menée par le colonel Juan Luis Beigbeder, délégué aux affaires indigènes. Vétéran de la colonisation du protectorat espagnol, Beigbeder est un arabophone confirmé, un grand admirateur de la civilisation marocaine, un fin connaisseur du Coran. Lettré, ouvert, il côtoie les élites marocaines, qu’elles soient religieuses ou politiques, traditionalistes ou progressistes, civiles ou militaires… Il ne faut pas, en outre, négliger les aspects religieux de l’adhésion des Marocains à la cause des rebelles. « Il était naturel pour les nôtres de s’allier  avec les Chrétiens contre les Rouges qui rejetaient Dieu et ses prophètes, Mahomet et Christ», dit un volontaire marocain cité par l’historien arabe Mohammed Azzuz Hakim. Et il n’est pas inutile de rappeler que, sur les 3 700 miliciens de la Bandera Falangista de Marruecos, formée durant l’été 1936 dans les premiers jours de la Guerre civile, on ne compte pas moins de 1 236 volontaires marocains.

Outre les Italiens, les Allemands et les Marocains, dont les engagements sont facilités par des régimes politiques ou des situations géopolitiques particulières, il convient de mentionner les trois autres nationalités les plus engagées aux côtés des nationaux espagnols : les Portugais, les Français et les Irlandais.

Légionnaires, phalangistes et carlistes

Les premiers sont 3 791 à servir dans l’armée franquiste, répartis essentiellement entre le Tercio (2990 hommes), la Phalange (200 hommes) et les carlistes (500 hommes). La plupart de ces hommes sont des militants nationaux-syndicalistes oppositionnels ou des monarchistes remuants que le gouvernement de Salazar n’est pas mécontent de voir s’éloigner un peu. 

En ce qui concerne les Français, on a beaucoup discuté du nombre de ceux présents du côté de l’Espagne nationale durant ce conflit. Je suis personnellement arrivé au chiffre de 991 durant tout le conflit. Organisés pour un grand nombre d’entre eux (620 environ) au sein de la fameuse Bandera Jeanne d’Arc, qui constitue la 67ème compagnie de la XVIIème Bandera du Tercio (Légion espagnole), ils seront, malgré un évident courage au combat, en partie victimes des rivalités politiques qui ruinent la cohésion de leur commandement. Il s’agit en effet d’une unité militaire très largement politisée, écartelée entre militants issus de l’Action Française, des Croix de Feu, du PPF… Si l’on compte peu de Français dans la Phalange (à peine une dizaine, dont, étonnamment, le fils aîné de Georges Bernanos, Yves) ils sont près de 300 à servir dans les milices carlistes, en provenance essentiellement, on l’aura deviné, des milieux monarchistes. Soulignons aussi l’existence d’un groupe armé, dont l’existence est aujourd’hui complètement oubliée, la Légion Tricolore, fort d’une cinquantaine de volontaires, spécialisée dans l’action clandestine, le renseignement et le sabotage.

Quant aux Irlandais, ils sont presque 800 à combattre en Espagne, la quasi-totalité au sein de la XVème Bandera irlandaise du Tercio. Ils y sont organisés par Eoin O’Duffy, un homme politique nationaliste et corporatiste, ancien membre du Sinn Fein, ex-général de l’IRA durant la Guerre d’indépendance, commandant de la 2ème Division Nord de l’IRA, celle qui est chargée de défendre les quartiers catholiques de Belfast contre les incursions armées des Unionistes et des Black and Tans.

Des quatre coins du globe

Il conviendrait encore de citer les 177 Argentins, dont 98 d’entre eux constituent une centurie phalangiste, la centaine de Russes blancs venus tenter de gagner en Espagne une guerre perdue vingt ans plus tôt en Russie, la soixantaine de Britanniques, dont presque la moitié servent au sein de l’aviation, ou bien encore la dizaine de volontaires suédois, les huit roumains de la Garde de Fer, la poignée de Norvégiens, ou encore le seul Indien, par ailleurs sympathisant phalangiste, Mulchand Sobrajh  Sita, et l’unique volontaire chinois, Tchang Wei-Kuo. Sans oublier de citer l’actrice bolivienne Tina Montero, membre des services de renseignement de la Phalange, fusillée à Madrid par les républicains.

Enfin, mentionnons l’un des deux volontaires sud-africains, le poète Roy Campbell, engagé dans les rangs carlistes. En octobre 1944, celui-ci fait la connaissance de J. R. R. Tolkien. Le futur auteur du Seigneur des Anneaux, qui avait lui aussi pris parti pour les Nationaux lors de la Guerre Civile, est enthousiasmé par cette rencontre au point de s’inspirer de la personnalité de Roy Campbell pour le personnage d’Aragorn.

En définitive, si la participation de tous ces volontaires internationaux aux combats ne fut pas décisive pour la victoire finale, elle n’en témoigne pas moins de la force d’engagement individuel au service d’une cause qui, bien qu’étrangère, fut souvent ressentie comme la poursuite de batailles politiques commencées à Paris, Dublin, Bruxelles ou Petrograd.

Sylvain Roussillon

Paru dans la Revue d’Histoire Européenne n°13 (novembre 2022)